Sanctions de la CEDEAO contre le Niger : les populations résistent

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(Guinée Eco) – Avec les sanctions imposées à leur pays par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa) après le putsch du 26 juillet 2023, les Nigériens tentent de s’adapter aux pénuries et à l’inflation. Les commerçants quant à eux usent de stratégies de contournement à partir des frontières du pays sous blocus.

Après s’être rendu dans près d’une demi-douzaine de pharmacies de la ville de Niamey à la recherche de son médicament, Ibrahim Issoufou a dû se rendre à l’évidence. Son produit est en rupture de stock. Il s’agit de l’Urinax, utilisé dans le traitement des troubles urinaires. M. Issoufou venait juste de sortir de l’hôpital. Il y avait été admis, cinq jours plus tôt à la suite d’une crise de paludisme.

« Depuis deux jours, c’est la même réponse que je reçois de la part des agents d’officines », explique M. Issoufou. Il s’est finalement contenté d’un médicament équivalent conseillé par son médecin.

Ce quarantenaire, comme beaucoup de ses concitoyens, paie les frais des sanctions économiques et financières infligées au Niger par la Communauté économiques des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) après le coup d’Etat du 26 juillet 2023 ayant destitué l’ex-président Mohamed Bazoum et installé un Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP).

Quatre jours après ce putsch, les chefs d’Etat et de gouvernement de la Cedeao ont pris plusieurs sanctions contre le Niger: fermeture des frontières, gel de ses avoirs et de ceux d’entreprises nigériennes dans les banques de l’espace communautaire, suspension de la fourniture d’électricité en provenance du Nigeria, etc.

Le Mali, le Burkina Faso et la Guinée, tous les trois membres de l’organisation sous régionale n’avaient pas pris part à la réunion. Egalement dirigés par les régimes militaires, ces trois Etats soutiennent le Niger.

Vaste pays sans littoral, aux trois quarts désertiques, le Niger importe une bonne partie de ses produits pharmaceutiques via les ports de Cotonou et de Lomé. Or, ces deux ports ne lui sont plus accessibles avec la mise en œuvre des sanctions.

« Si ces sanctions sont maintenues trop longtemps, nous allons manquer des produits essentiels dans les deux prochains mois. Nous avons déjà consommé plus du tiers du stock de sécurité », a expliqué à Ouestaf, Dr Amadou Seyni Moustapha, Secrétaire général du Conseil national de l’ordre des pharmaciens du Niger. Une situation confirmée par le ministre de la santé publique lors d’une visite au niveau de l’Office national des produits pharmaceutiques et chimiques (ONPPC). Colonel-major Garba Hakimi a toutefois rassuré que les produits seront disponibles dans un bref délai.

Dès les premiers jours du blocus, les prix des produits de première nécessité ont connu une montée vertigineuse. Le kilo de sucre blanc est passé de 600 à 1.000 FCFA,  le lait en poudre de 500 grammes, de 1.750 à 2.500 FCFA et le litre d’huile a bondi de 800 à 1.200 FCFA. Si avant le putsch, le sac de riz de 25 kg s’achetait à 11.500 FCFA, il est passé à 17.500 FCFA au début du mois d’octobre 2023 avant de se stabiliser à 16.000 avec l’arrivée des premiers convois qui ont alimenté les marchés.

« C’est devenu insupportable », se lamente Oumarou Hima, enseignant dans un institut de formation. Selon lui, le gouvernement et le CNSP doivent s’impliquer dans la normalisation des prix des produits de première nécessité.

Pas que les médicaments

Le ministre du Commerce a déjà rencontré les commerçants et autres acteurs concernés par cette vague inflationniste subite. Mais rien de significatif ne semble en avoir découlé pour les consommateurs.

Selon El Hadj Yacouba Dan Maradi, président du Syndicat des importateurs et exportateurs du Niger (Sien), les commerçants ont été contraints à la hausse des prix de leurs produits afin d’anticiper leurs difficultés d’approvisionnement. Des centaines de camions remplis de marchandises sont bloqués au port de Cotonou, principale zone de débarquement des produits à destination du Niger.

« Ce blocage des camions alourdit les taxes à payer par les commerçants, Du coup, cela se répercute sur les prix des produits », souligne Dan Maradi.

Cette situation a poussé certains ménages nigériens à adopter de nouvelles stratégies. Halima Idrissa, mère de sept enfants, ne prépare désormais qu’un seul repas quotidien pour sa famille contre trois en temps normal. « Cela nous permet d’avoir moins de produits à utiliser dans la cuisine. Au lieu d’avoir deux sauces dans la journée, j’en fais une », explique la mère de famille.

Face à la situation, les yeux des Nigériens sont rivés vers le Burkina Faso et du côté de Gaya, une ville proche du Bénin où transitent les produits par des canaux pas toujours officiels.

Pour contourner la fermeture du port de Cotonou, certains commerçants, notamment ceux exerçant dans le domaine des céréales et autres produits agricoles, ont trouvé une solution à Gaya. Cette localité, située à environ 300 km au sud-ouest de Niamey, est la dernière grande ville avant le Bénin. En certains endroits, le fleuve Niger sert de frontière entre les deux pays. Sur ses rives, sont entassées des centaines de sacs de maïs, de gari (semoule de manioc), de charbon et d’igname commandées par des commerçants et transportées à bord d’imposantes pirogues motorisées. Après déchargement, les marchandises sont acheminées jusqu’à Niamey par des intermédiaires.

A moins d’un kilomètre du quai de débarquement improvisé pour la réception des produits, il y a le pont reliant Gaya à la ville béninoise de Malanville. Il est sous le contrôle des militaires nigériens qui, grâce à un conteneur, bloquent les passages des véhicules pour prévenir toute intervention de la Cedeao à partir du Bénin.

Contournements

La Cedeao avait au lendemain du putsch annoncé une possible intervention militaire pour reconduire le président déchu au pouvoir. Celle-ci n’a jamais eu lieu, les sanctions économiques, si. Les commerçants et leurs intermédiaires ont alors repris cette ancienne voie commerciale entre les deux pays. Le commerce fluvial.

L’ambiance est bonne ce matin de début de septembre dernier. Piroguiers, dockers et commerçants échangent sur les produits notamment les conditions de transport         et sur les prix.

« Nous n’avons pas de problème quand nous arrivons au Niger. Mais, c’est de l’autre   côté que nous payons des taxes sur les produits », explique Assoumane Karma  Djibo, un commerçant béninois rencontré à Gaya.

La traversée, relativement bien sécurisée a un coût : « avec la pirogue, nous payons 2.500 FCFA par sac, 800 FCFA pour les dockers et 2.500 FCFA pour le transport des camions de Gaya à Niamey », révèle Ali Djingarey, un jeune commerçant trouvé sur place.

Il existe une autre voie de contournement qui passe par le Burkina Faso. Mais avec l’insécurité permanente aux frontières des deux pays, les chauffeurs de camions sont      contraints d’attendre un convoi militaire disponible pour leur protection. Les forces de sécurité burkinabè accompagnent les camions de Kaya à Dori en territoire burkinabè, puis les soldats nigériens les escortent jusqu’à Niamey.

Depuis fin août, au moins trois convois ont été effectués. Ce qui a permis de ravitailler la ville de Niamey en riz et d’autres produits de première nécessité. D’autres voies de contournement existent, notamment du côté du Nigéria où les frontières sont plus poreuses.

Alors qu’ils font face à ces difficultés, les Nigériens se mobilisent pour soutenir les nouvelles autorités contre la Cedeao et ses sanctions. Des manifestations sont organisées presque tous les jours à l’appel des organisations de la société civile proches du CNSP.

« Je commence à m’habituer au manque d’électricité venant du Nigéria. Avec le peu que la Nigelec [La société nigérienne d’électricité] nous fournit, nous arrivons à dérouler nos activités », dit comme pour se rassurer Moussa Issoufou, un couturier de Niamey.

Source : Ouestafnews

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