(Guinée Eco) -L’économie politique peut être un sujet ben sensible. Au niveau individuel, les raisons pour lesquelles les gens font ce qu’ils font et pensent ce qu’ils pensent sont par nature personnelles, voire privées. Mais au niveau collectif, les convictions, les sentiments et les comportements des individus façonnent les évènements actuels et futurs.
Il est tentant d’éviter d’aborder ou d’analyser les enjeux du politique par crainte de créer des controverses inutiles. Cependant, pour les responsables de la politique climatique, cette position n’est pas tenable, comme le montrent les succès et les échecs de la dernière décennie.
Le monde s’est uni autour de l’accord de Paris sur le changement climatique, s’engageant à maintenir l’augmentation de la température mondiale à moins de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, et à s’efforcer de la limiter à 1,5 °C. Plus de 70 pays, à l’origine de 76 % des émissions mondiales, se sont engagés à atteindre le zéro émissions nettes. Parallèlement, les coûts des technologies sobres en carbone ont baissé et leurs capacités se sont améliorées.
Si la science et l’économie étaient les seuls moteurs de l’action humaine, la crise climatique serait déjà à moitié résolue , mais comme l’indique sans équivoque le dernier rapport du GIEC, nous en sommes loin. Qui plus est, si le politique n’est pas pris en compte au même titre que la science et l’économie du changement climatique, la situation ne s’améliorera pas.
Lorsqu’on examine les réussites dans le domaine du climat à travers le monde, il est tentant de se concentrer sur le contenu des politiques mises en œuvre, qu’il s’agisse d’agriculture climato-intelligente, d’énergie renouvelable ou de codes de la construction écologiques. C’est utile, sans aucun doute. Mais il est tout aussi utile d’en décortiquer les détails pour identifier les caractéristiques sous-jacentes des politiques efficaces. Dans ce cas, nous sommes bien obligés de réévaluer ce qui est considéré comme possible.
Comme le montre le récent rapport Within Reach: The Political Economy of Decarbonization (a), il est possible de surmonter les obstacles à la décarbonation qui sont du ressort du politique. Cela suppose toutefois que les décideurs publics adoptent des approches spécifiques.
Tout d’abord, il faut comprendre que l’économie politique n’est pas un élément statique avec lequel il faut composer. Il s’agit plutôt d’une relation dynamique qui évolue. En effet, les responsables de l’action publique ont la capacité de façonner l’évolution du politique en prenant des mesures stratégiques qui renforcent l’adhésion des parties prenantes au fil du temps.
Pour que leurs décisions reçoivent un soutien, ces décideurs choisissent soigneusement leurs batailles et leurs messages de manière à faire évoluer les esprits. Ils peuvent aussi combler le fossé entre le possible et le nécessaire en proposant sciemment des politiques qui seront bien accueillies par la plupart des gens, voire par tout le monde, ce qui facilitera par la suite l’adoption d’autres mesures. Autrement dit, il y a des politiques qui en rendent d’autres possibles.
Ensuite, il faut tenir compte de ce qui motive réellement les individus. Leur volonté de soutenir des politiques climatiques n’est pas uniquement guidée par la crainte de phénomènes météorologiques extrêmes ou par le fait qu’ils en tirent un avantage personnel. Il arrive même que les bénéficiaires directs d’une politique climatique s’y opposent parce qu’ils la perçoivent comme injuste ou illégitime.
Parfois, ce n’est pas le revenu, mais les convictions qui déterminent l’opinion des individus sur l’action en faveur du climat. Et bien sûr, les décideurs politiques ont besoin de données concrètes pour évaluer clairement les coûts et les avantages. Cependant, il est essentiel de reconnaître que ce n’est là que la moitié de l’équation.
Enfin, il faut faire preuve de pragmatisme. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire. À mesure que les données de la science s’assombrissent de plus en plus et que le calendrier devient de plus en plus pressant, il est tentant de se montrer plus inflexible sur des choix politiques considérés comme nécessaires. Il faut pourtant lutter contre cette tentation. Elle ne fera que fermer des portes. Au contraire, il faut faire preuve d’une plus grande souplesse quant à la manière d’atteindre les objectifs climatiques, en comprenant que cela ouvrira plus de portes que cela n’en fermera.
En pratique, cela implique pour les décideurs politiques de s’intéresser beaucoup plus à leurs contradicteurs, qu’il s’agisse des motifs de leur opposition ou du pouvoir qu’ils exercent pour ralentir ou faire échouer l’action. Il faut comprendre ce qui les anime, sans a priori, et leur donner une place.
La nécessité de réduire les émissions est plus urgente que jamais. L’approche proposée dans le rapport ne vise pas à ralentir le changement, bien au contraire. En commençant par ce qui est possible, les décideurs peuvent créer une dynamique et contribuer à catalyser de nouvelles technologies, de nouvelles options économiques et de nouvelles politiques, ce qui favorise l’accélération du changement.
Il est difficile de naviguer entre les écueils du politique. Il est plus facile de croire que si les gens comprennent le fondement scientifique du changement climatique, ils soutiendront les efforts de réduction des émissions, ou que si un individu bénéficie d’une politique climatique, il la soutiendra. C’est peut-être vrai dans une certaine mesure, mais cela ne pourra jamais suffire.
Sachant ce qui a déjà été accompli et l’urgence de ce qu’il reste à faire, les responsables politiques doivent favoriser une action climatique dynamique, qui tienne compte des paradoxes de la nature humaine et qui soit avant tout pragmatique. Le succès de l’action climatique au cours de la prochaine décennie et au-delà dépendra de la capacité des décideurs à non seulement façonner nos destins économiques et technologiques, mais aussi à repousser les frontières du politique.
Juergen Voegele
Vice-président pour le Développement durable, Banque mondiale