Le Ministre Ousmane Gaoual Diallo souligne : « l’internet n’est pas un droit. Ce n’est pas coupé, ça marche. Notre pays n’est relié que par un seul câble sous-marin. Ça, on ne va pas le répéter à chaque fois qu’il y a des problèmes. Il faut assumer certaines positions ». Cette affirmation a fait réagir certains, soutenant le contraire : l’internet est « un droit », l’internet est « un droit fondamental ». D’autres diront même, que l’internet est « un droit universel »[1]. Attention ! Notre analyse ne va pas dans ce sens. Nous nous sommes tout d’abord, posé une question simple : qu’est-ce que le droit (I) ? Nous verrons ensuite, que l’affirmation « l’internet n’est pas un droit » (II), peut être justifiée en toute logique.
- Le droit comme « norme »
Le droit se définit par rapport au droit objectif : « une règle de conduite humaine qui régit la vie en société ». L’internet n’est pas une règle de conduite sociale. Le droit de l’internet, (à ne pas confondre avec « le droit à l’internet » ou « le droit d’accès à l’internet »), est constitué d’un ensemble de règles applicables à l’internet. Celui-ci, est un réseau informatique mondial accessible au public. L’internet est-il un droit subjectif ? Le droit subjectif est une prérogative juridique accordée à une personne et qui est reconnue par le droit objectif. Le droit d’accès à l’internet est-il accordé aux personnes et reconnu par le droit objectif ? La réponse nécessite une compréhension préalable de ce qu’on entend par « droit ».
En effet, le droit s’identifie à la règle de droit. Celle-ci est générale, impersonnelle, obligatoire et coercitive. Le caractère coercitif renvoie à la sanction : le droit est une règle dont la violation entraine une sanction. La notion de sanction est essentielle à la compréhension du droit. On peut s’interroger sur le rapport entre la sanction et le droit. L’existence du droit repose-t-elle sur la contrainte ou la sanction ? Pour certains, comme le Professeur A.-L. CHAUMETTE « tout dépend de l’acception retenue pour le terme sanction. Si la sanction est entendue comme la preuve de l’efficacité du droit, elle se confond avec la contrainte. La validité et l’effectivité du droit positif repose alors sur la sanction.
Le droit n’existe que du fait qu’il est obéi, c’est-à-dire sanctionné »[2]. Le droit ne peut donc exister en dehors de la sanction. Le droit est confondu à la sanction. La règle de droit est une règle coercitive et de commandement. Comme le souligne H. KELSEN, qui considère aussi que le droit ne peut pas exister en dehors de la sanction. Selon lui, « il faut rejeter toute définition du droit qui ne le caractérise pas comme un ordre de contrainte. La raison majeure étant que seul cet élément de la contrainte permet de clairement distinguer le droit de tout autre ordre social »[3]. La sanction, envisagée comme la contrainte, est inhérente au droit[4]. Cette approche est partagée par J. AUSTIN pour qui le droit est nécessairement exécutoire, le cas échéant, par la contrainte[5].
Ensuite, d’autres auteurs défendent une thèse comparable bien qu’atténuée, pour dire que l’existence du droit ne repose pas nécessairement sur la sanction. Selon S. ROMANO, la sanction est un attribut nécessaire du droit mais rattachable à l’ordre juridique et non à la norme : elle peut être « directe ou indirecte, assurée ou seulement probable, partant incertaine, mais toujours, en un sens, préétablie et organisée au sein même de l’ordre juridique »[6]. F. GENY quant à lui, il estime que le droit est certes exigible par le recours à la contrainte mais, qu’à défaut de contrainte organisée, la règle n’en est pas moins déjà juridique[7].
Toutefois, le droit ne se réduit pas à la sanction. Il ne se définit pas par l’existence de la sanction. Le droit est un « ordre normatif »[8], non un ordre de contrainte. Par conséquent, « il faut retenir la seconde acception du terme sanction : la sanction n’est pas un acte de contrainte mais une règle de droit. Elle est une obligation juridique qui nait d’une obligation violée. Elle est une norme secondaire »[9] qui intervient pour sanctionner la violation d’une norme primaire. La sanction n’entre pas dans la définition du droit[10]. Comme l’a clairement démontré M. VIRALLY, « [c]e qui caractérise le droit, ce n’est pas qu’il puisse utiliser la contrainte »[11].
La sanction est une norme secondaire qui naît de la violation d’une norme secondaire et non l’inverse. Elle se définit comme « toute atteinte portée à la situation juridique d’un sujet de droit, soit par constitution d’obligations nouvelles, soit par déchéance de droits, en conséquence de la violation d’une obligation »[12]. La sanction pénale est une peine, un châtiment de caractère répressif, infligé aux auteurs ou complices d’infractions pénales[13].
Selon le Vocabulaire juridique Cornu, la sanction est une « (…) punition, peine infligée par une autorité à l’auteur d’une infraction »[14], c’est une « mesure répressive destinée à le punir (…) »[15]. Les Professeurs P. DAILLIER et A. PELLET, soulignent que « [l]’application de la sanction est la fonction de l’efficacité du droit et non de son existence »[16]. L’existence du droit n’est donc pas subordonnée à la sanction. Le droit existe en dehors de la sanction. Mais la sanction a pour fonction de rendre le droit efficace.
Considérant ce qui vient d’être développé, si nous considérons le droit comme « un ordre normatif, sanctionné en cas de violation » ou comme « une norme dont la violation entraine une sanction », il sera difficile d’identifier l’existence d’une norme primaire consacrant « un droit d’accès à internet », en tant que droit autonome, dont la violation peut entrainer une sanction. Le droit d’accès à internet n’est pas un droit efficace : son inefficacité, est corroboré par l’absence de sanction en cas de violation, en tant que droit autonome.
- « L’internet n’est pas un droit » : une expression soutenable
Cette affirmation peut être justifiée pour deux raisons : Primo, le droit d’accès à internet n’est pas un droit autonome. Il n’existe pas en tant que tel : c’est un droit « parasite ». Secundo, même s’il est consacré dans l’ordre juridique de certains Etats, quid de sa consécration et de sa portée en droit guinéen ? Le droit d’accès à internet n’est pas un droit autonome. Il dépend de la protection d’autres droits, « la liberté d’expression et de communication » : le droit d’accès à internet est protégé de manière indirecte.
En France, avec la décision relative à la loi HADOPI[17] à travers laquelle certains[18] ont pu déduire que le Conseil constitutionnel avait érigé le droit d’accès à Internet en droit fondamental par annexion au droit à la liberté d’expression et de communication[19]. Notons que le juge constitutionnel n’est pas allé jusqu’à reconnaître un « droit d’accès au réseau » à valeur constitutionnelle, qui aurait conduit à « garantir un droit de caractère général et absolu » à être connecté[20].
Le droit d’accès à Internet constitue donc une sorte de « droit fondamental en gestation »[21], en tant qu’annexé à celui de la liberté d’expression et de communication. C’est un droit qui dépend de la protection de la liberté d’expression et de communication. En 2016, la CEDH, aborde dans le même sens : « le droit à la liberté d’expression du requérant avait été violé par le refus d’une prison de lui donner accès à des sites Internet contenant des informations juridiques, car cela avait violé son droit à recevoir des informations »[22].
Aussi, nous ne pouvons dire que l’accès à l’internet est un droit qui crée une « obligation positive à la charge des Etats », car le juge européen, a d’ailleurs rappelé, que « l’article 10 ne saurait s’interpréter comme imposant une obligation générale de fournir aux détenus un accès à internet ou à des sites internet spécifiques ». La Cour a jugé qu’il n’existe pas de droit général à l’accès à l’internet au profit des détenus. Le droit d’accès à internet est protégé par le recours à d’autres droits.
Ni la Cour européenne des Droits de l’homme, ni la Cour de justice de l’Union européenne n’ont explicitement créé de droit dérivé à la connectivité sur la base duquel les individus peuvent contraindre les États à fournir un accès à l’internet au moyen d’une action en justice. De plus, au plan international, nous ne pouvons dire que le droit d’accès à internet est un droit « universel », certes il y’a une émergence de certains textes[23] en la matière, mais la reconnaissance est incomplète et non contraignante. Son existence est discutée et oppose les « pour » et les « contre » d’un droit d’accès à internet en tant que droit de l’homme.
« L’internet n’est pas un droit », l’expression a été (peut-être), prononcé dans un contexte particulier : la Guinée. Partant, à supposer qu’il existe une norme européenne, française ou américaine[24], qui protège l’accès à internet en tant que droit, on ne saurait faire une transposition « mécaniquement » de la norme dans l’ordre juridique guinéen. En droit guinéen, le droit d’accès à internet (en tant que droit autonome), n’est ni consacré par un texte de loi, ni inventé par le juge par le recours aux droits fondamentaux : la liberté d’expression. La loi guinéenne sur la cybercriminalité, se limite à définir les règles et mécanismes visant à lutter contre la cybercriminalité[25].
ParBissiriou Kandjoura, Chercheur chargé d’enseignement en Droit
Université Paris Nanterre, Université de Sonfonia, – Guinée
[1] A. Barry, « Accès à internet, c’est bien un droit universel », mosaiqueguinée.com.
[2] A. -L. Chaumette, Les sujets du droit international pénal. Vers une nouvelle définition de la personnalité juridique internationale ?, Pedone, Paris, 2009, p. 357.
[3] H. Kelsen, Théorie pure du droit, réimpression de 1ère éd. de 1934, LGDJ., Paris, 1999, 367 p., p. 60.
[4] A. – L. Chaumette, Les sujets du droit international pénal, op.cit., p. 358.
[5] J. Austin, Lectures on Jurisprudence for the Philosophy of Positive Law, Campbell, Londres, 1879, 2 vol.
[6] S. Romano, L’ordre juridique, 2ème éd., Dalloz, Paris, 2002, xii-174 p., p. 15.
[7] F. Geny, Science et technique en droit privé positif, Sirey, Paris, 1914-1924, 4 vol.
[8] M. Virally, La pensée juridique, reimpression de 1ère éd. de 1960, LGDJ, Paris, 1998, xli-225 p., p. 9. V. aussi A. -L. Chaumette, Les sujets du droit international pénal, op.cit., p. 358.
[9] A. -L. Chaumette, Les sujets du droit international pénal, ibid., p. 358.
[10] H. L. A. Hart, Le concept de droit, op.cit., p. 22. et M. Villey, Philosopphie du droit, Dalloz, Paris, 2001, xix-339 p., p. 57.
[11] M. Virally, La pensée juridique, op.cit., p. 9.
[12] Ibid., p. 71.
[13] J. Salamon (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruylant, Bruxelles, 2002, p.1018.
[14] G. Cornu (Dir.), Vocabulaire juridique, 10e éd., PUF, Paris, 2014, 1095 p ; v. la p. 941.
[15] Idem.
[16] P. Daillier, A. Pellet, Droit international public (Nguyen Quoc Dinh), LGDJ., Paris, 7ème éd., 2002, 1510 p., p. 91.
[17] Déc. 2009-580 DC du 10 juin 2009, « Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet » (HADOPI), JO du 13 juin 2009, p. 9675, texte n° 3. : « […] en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, la libre communication des pensées et des opinions implique la liberté d’accéder à ces services ».
[18] L. Marino, « Le droit d’accès à internet, nouveau droit fondamental », D., 2009 ; p. 2045.
[19] M. Bastian, « La fragmentation d’un droit préexistant ou la fondamentalité par analogie : le cas du droit d’accès à Internet », Revue des droits de l’homme, 2019, p. 3.
[20] Idem.
[21] Ibid., p. 4. V. aussi, B. Taxil, « Internet et l’exercice des droits fondamentaux », in Colloque de Rouen, Internet et le droit international, Paris, Pedone, 2014.
[22] CEDH, Kolda c. Estonia, 19 janvier 2016.
[23] Assemblée générale des Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, résol. A/HRC/32/L.20 du 27 juin 2016 portant sur la promotion, la protection et l’exercice des droits de l’homme sur Internet.
[24] « La Cour suprême des Etats-Unis considère, dans un arrêt du 19 juin 2017, que l’accès aux réseaux sociaux est un droit constitutionnel au titre du droit à l’information et de la liberté d’expression, garantis par le Premier Amendement de la Constitution ». V. dans ce sens, P. Mouron, « L’accès aux réseaux sociaux est un droit constitutionnel selon la Cour suprême des Etats-Unis », Revue européenne des médias et du numérique, 2017.
[25] Loi relative à la cybercriminalité et à la protection des données à caractère personnel en République de Guinée, 2016, art. 2.