Les actes du 28 septembre en Guinée : qualification et incrimination

0

(Guinée Eco)- Dans cette tribune qu’il a adressée à la rédaction de votre journal en ligne, Bissiriou Kandjoura, enseignant chercheur guinéen, chargé de cours de droit à l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia de Conakry se penche sur la qualification et l’incrimination des actes commis le 28 septembre 2009 à Conakry.

Le 28 septembre 2009, à la suite d’une manifestation de l’opposition dans la capitale guinéenne, des crimes ont été commis. Ces actes, dits « massacres du 28 septembre », ont fait plusieurs victimes. A la suite de l’attaque, une commission d’enquête internationale a été mise en place, avec pour mandat « d’établir les faits, de déterminer la nature des crimes commis, d’établir les responsabilités et d’identifier les auteurs »[1]. Le rapport de cette commission concluait que : « les crimes perpétrés le 28 septembre 2009 et les jours suivants peuvent être qualifiés de crimes contre l’humanité. Ces crimes s’inscrivent dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique lancée par la garde présidentielle (…) »[2]. Cette internationalisation de l’affaire, a été renforcée par l’implication de la Cour pénale internationale (CPI). En 2011, le Procureur de la CPI concluait,

« Les événements survenus dans le stade de Conakry peuvent être qualifiés d’attaque généralisée et systématique contre la population civile […]. Le Bureau est en mesure d’établir l’existence d’une base raisonnable de croire que des crimes contre l’humanité ont été commis à Conakry […] »[3].

       Cependant, si les rapports de la commission internationale et de la CPI retiennent la qualification de « crime contre l’humanité » l’attaque du 28 septembre, la commission nationale d’enquête, n’a pas retenu cette qualification[4]. En 2010, le Procureur général de la Cour d’appel de Conakry a décidé d’ouvrir une information judiciaire, à travers trois juges d’instruction, qui ont rendu une ordonnance de requalification, de non-lieu partiel et de renvoi devant le Tribunal criminel. Selon cette ordonnance, les faits ont été commis par « les bérets rouges de la garde présidentielle et des miliciens en civil [qui] investissaient l’enceinte du stade. Les premiers tirant des rafales d’armes automatiques sur la foule, pendant que les seconds bastonnaient, torturaient et poignardaient les manifestants (…) »[5]. Des recours exercés contre cette ordonnance, ont été rejetés par la chambre de contrôle de l’instruction de la Cour d’appel de Conakry[6]. La Cour suprême qui a été saisie par la suite, a rendu son arrêt en juin 2019[7], confirmant l’ordonnance d’instruction. Ce qui a permis l’ouverture du procès devant le Tribunal criminel le 28 septembre 2022. Mais la bataille sur la qualification de l’attaque revient encore, et cette fois ci, la question est soulevée en cours du procès : le parquet demande au Tribunal une requalification des faits en « crimes contre l’humanité ». Quel contraste !

       Cette contribution se limitera à traiter la question de (re)qualification d’une attaque en crime contre l’humanité. Elle n’a pas pour objet de qualifier l’attaque du 28 septembre de crime contre l’humanité. Cette qualification reviendra au Tribunal criminel guinéen. Autrement dit, dans cette contribution, nous tenterons de répondre à deux questions : le Tribunal criminel peut-il (re)qualifier les actes du 28 septembre en cours de procès (I) ? Quels actes pourraient être qualifiables de « crime contre l’humanité » (II) ?

  1. LA (RE)QUALIFICATION : UN POUVOIR DU JUGE PENAL

         Le droit pénal est un droit de poursuite et de sanction. Il définit les comportements qui sont interdits et les peines applicables en vertu du principe de légalité criminelle. Ce rôle revient au législateur. Toutefois, lorsqu’il y a carence du législateur dans la définition précise des infractions et des peines applicables, le juge peut procéder à la qualification au regard de son pouvoir d’interprétation de la loi pénale. Autrement dit, au cours du procès pénal, le juge peut qualifier les faits au regard de la loi et/ou en vertu de son pouvoir d’interprétation. C’est ce que l’on appelle la qualification judiciaire. Selon E. Gallardo, la qualification judiciaire des faits au cours du procès pénal est « l’opération intellectuelle qui permet au juge de passer du fait au droit, en confrontant les circonstances de fait relatées à la procédure à la règle de droit applicable »[8]. La qualification est une opération qui consiste à « vérifier la concordance des faits matériels commis au texte d’incrimination susceptible de s’appliquer »[9]. En requalifiant les faits, le juge est soumis au principe de légalité : il doit qualifier les faits conformément à la loi pénale (a). Il est aussi soumis au respect des règles du procès équitable : les droits de la défense (b) et dispose enfin d’un pouvoir d’interprétation (c).

  1. Une (re)qualification comme expression de la légalité criminelle

       En application du principe de légalité, le juge n’est soumis qu’à l’autorité de la loi pénale. Il n’est lié qu’à la qualification des incriminations faite par le législateur. Autrement dit, le juge pénal, n’est pas lié par une qualification donnée par une autre autorité qui n’est pas celle du législateur. Par conséquent, les qualifications de crime de droit commun par la commission nationale guinéenne et de crime contre l’humanité par la commission internationale ne lient pas le juge pénal. Quid de la qualification d’une autorité judiciaire ? La réponse c’est encore non : le juge pénal n’est pas non plus lié par cette qualification. Ainsi, le juge répressif, « lorsqu’il est saisi par une ordonnance de renvoi, il n’est pas lié à la qualification des faits de cette ordonnance. Une juridiction répressive n’est jamais liée par la qualification donnée par une précédente autorité : l’ordonnance de renvoi rendue par le juge d’instruction n’est qu’indicative de juridiction »[10], en outre, (par exemple), la qualification que donne aux faits poursuivis la citation devant le tribunal correctionnel ne lie pas la Cour d’appel[11]. Le juge peut requalifier les faits en cours de procès. D’ailleurs, au besoin, « il doit ainsi requalifier les faits y compris en tenant compte des débats à l’audience ». A cet effet, la Chambre criminelle énonce que « les juges d’appel […] apprécient les faits dont ils sont saisis dans leur rapport avec la loi pénale ; les juges ne sont pas liés par la qualification donnée aux faits dans la prévention ; ils ont non seulement le droit, mais le devoir de caractériser les faits qui leur sont déférés et de leur appliquer la loi pénale conformément aux résultats de l’information effectuée à l’audience »[12]. Le juge répressif est soumis donc à l’obligation juridique de requalifier les faits au cours de procès lorsque cela est nécessaire. Comme le souligne la Chambre criminelle : « la juridiction répressive doit restituer à la poursuite sa qualification véritable dès lors qu’elle puise les éléments de sa décision dans les faits même dont elle est saisie »[13]. Pour la Chambre, « les juridictions répressives ont le droit et le devoir de caractériser les faits de la prévention sous toutes les qualifications possibles dont ils sont susceptibles »[14]. En cas de concours de qualification, le juge doit retenir la haute expression pénale. Autrement dit, en cas de pluralité de qualification, seule celle de l’infraction la plus sévèrement punie sera retenue. Cette palette de jurisprudence est transposable en droit guinéen, dont le code pénal et le code de procédure pénal sont en principe, conforment au système français. Autrement dit, le Tribunal criminel guinéen, saisi d’une demande de requalification par le parquet, peut lorsqu’il estime nécessaire, procéder de deux manières.

        En tout premier lieu, le Tribunal peut rejeter la demande de requalification ou décider de la renvoyer ultérieurement, avec possibilité de statuer sur la question, lorsqu’il rendra son jugement. Car jusqu’ici, il n’est lié à aucune qualification : les faits pour lesquels il est soumis doivent être légalement qualifiés lorsqu’il rendra son jugement. Il peut les qualifier de crime de droit commun ou de crime contre l’humanité au regard du droit applicable. A ce niveau, le nouveau Code pénal guinéen, consacre et définit désormais, le crime contre l’humanité[15]. Le juge dispose donc d’une base légale qui lui permet de qualifier l’attaque du 28 septembre de crime de droit commun ou de crime contre l’humanité.

         En second lieu, étant indépendant, le Tribunal criminel, lorsqu’il estime nécessaire, peut décider de la recevabilité de la demande de requalification, et donc de donner une réponse, en cours du procès. La règle reste la même : il doit qualifier les faits au regard de la loi pénale applicable ou en vertu de son pouvoir d’interprétation. Il n’est pas soumis à une qualification d’une autorité, même judicaire. Le Tribunal ne serait donc lié par la requalification de crime de droit commun faite par l’ordonnance d’instruction, entre autres. Le Tribunal, s’il estime nécessaire, doit en cours de procès, rechercher la qualification exacte des faits au regard du droit applicable. Néanmoins, s’il décide de requalifier les faits, il a l’obligation de respecter les règles du procès équitables : les droits de la défense.

  1. Une (re)qualification dans le respect des droits de la défense

          Le juge pénal en procédant à la requalification des faits est soumis à une obligation juridique : il doit donner la possibilité à l’accusé d’exercer ses droits de défense de manière concrète et effective. Autrement dit, le juge doit tout d’abord, notifier la nouvelle qualification retenue à l’accusé, et lui donner ensuite la faculté de préparer sa défense en temps utile. Cette obligation implique l’obligation d’information, permettant à l’accusé de bien préparer sa défense sur la nouvelle qualification. Partant, une requalification est permise lorsque l’accusé est toujours en mesure de préparer sa défense sur la nouvelle qualification retenue. La requalification est envisageable dès lors qu’elle n’empêche pas « l’accusé de connaitre en détail l’accusation portée contre lui ou de préparer efficacement sa défense »[16]. Le juge pénal dispose enfin du pouvoir d’interprétation.

  1. L’interprétation du principe de légalité par le juge pénal

       Sur cette question, « v. notre contribution, disponible en ligne »[17]. Ainsi, le juge pénal après avoir compris qu’il dispose du pouvoir d’interprétation et de requalification, doit être en mesure de connaitre ensuite, les actes (faits) qualifiables de crime contre l’humanité.

  1. LE CRIME CONTRE L’HUMANITE : UN CRIME DE DROIT INTERNATIONAL

Cette partie a pour but de mettre en avant les qualifications légales et jurisprudentielles des actes constitutifs de crime contre l’humanité, en collationnant l’attaque du 28 septembre.

         Quel acte est qualifiable de « crime contre l’humanité » ? La qualification des infractions relève de la compétence du législateur : « Nullum crimen sine lege », c’est-à-dire, il ne peut y avoir d’infraction en dehors d’un texte de loi. C’est l’affirmation du principe de légalité criminelle.  Le Statut de la CPI consacre ce principe dans ses articles 22 et s. En droit guinéen, le même principe est consacré par le nouveau Code pénal, dans son Livre 1er, article 5 : « Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi. Nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi ». D’autres dispositions posent des principes généraux : le principe de l’interprétation stricte de la loi pénale (article 3) et celui de l’application de la loi pénale dans le temps (article 6 et s.).

        L’apport majeur du nouveau Code pénal guinéen, est d’avoir incorporé le crime de droit international en droit guinéen : les crimes contre l’humanité (art. 194 et s.), le crime de génocide (art. 192 et s.), les crimes de guerre (art. 787 et s.) et les crimes d’agression (art. 796 et s.) font désormais partie du système pénal guinéen. C’est une innovation majeure. En effet, la définition de crime contre l’humanité, est consacrée à l’article 7, § 1 du Statut de la CPI, cette définition est reprise in extenso, à l’article 194 et s. du Code pénal guinéen. Selon ces dispositions,

 « Un acte (fait) est qualifiable de crime contre l’humanité lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique, lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque ».

       Dans cette qualification légale en droit international et en droit guinéen, on peut identifier les éléments constitutifs de crime contre l’humanité : une attaque généralisée ou systématique (a), lancée contre une population civile (b) et en connaissance de cette attaque (c).

  1. Une attaque généralisée ou systématique

       D’abord « une attaque », c’est un comportement qui consiste en la commission multiple d’actes visés au paragraphe 1 à l’encontre d’une population civile quelconque, en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation ayant pour but une telle attaque. L’attaque est limitée aux comportements visés dans la catégorie des actes énumérés au paragraphe 1 de l’article 7 du Statut de la CPI, qui est l’article 194 du Code pénal guinéen. Il existe onze catégories d’actes criminels. Pour les actes du 28 septembre, les rapports disponibles des commissions d’enquête[18] et l’ordonnance d’instruction[19], sont unanimes qu’il y’a eu au moins un des onze catégories d’actes criminels énumérés par le Code pénal guinéen et le Statut de la CPI. Est-il possible de nier, l’existence de l’« attaque » : meurtre ou autres actes inhumains, lors des événements du 28 septembre ? Est-il possible que les actes criminels perpétrés le 28 septembre, puissent échapper à la qualification légale de l’attaque, donc à l’un des onze chefs d’accusation prévus par le Code pénal guinéen et le Statut de la CPI ?

       Soulignons que parmi ces onze actes, chaque acte inhumain pourrait être constitutif de crime contre l’humanité si « le comportement fait partie d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile » et en connaissance de cette attaque. Selon Y. Jurovics, « sur le plan juridictionnel, la qualification de crime contre l’humanité suit l’établissement successif de deux éléments : l’attaque puis l’insertion de l’acte examiné dans ce cadre. L’acte est transformé en crime contre l’humanité par le biais de cette double preuve »[20]. Bien distincte du conflit armé, « dans le contexte des crimes contre l’humanité, l’attaque ne se limite pas au recours à la force armée mais comprend également tous mauvais traitements infligés à la population civile »[21]. L’attaque est donc la réalisation ou la poursuite d’un programme criminel[22].

      Ensuite, « généralisée ou systématique ». Cette condition signifie que l’attaque ne doit pas résulter d’actes isolés ou fortuits, ce qui permet de distinguer le crime contre l’humanité des crimes de droit commun. Le caractère généralisé renvoi au fait que l’attaque a été menée sur une grande échelle et au nombre important de victimes. Systématique renvoie au caractère organisé des actes criminels. Il faut donc prouver l’existence d’une méthode ou d’un plan criminel. A ce niveau, la jurisprudence a constamment utilisé[23] « (…) violences, meurtres, commission de crimes sur une période de temps très brève (…) »[24]. Ces deux critères ne sont pas cumulatifs, ils sont alternatifs. L’un ou l’autre de ces critères suffit pour exclure des actes isolés ou fortuits. Comme le confirme la jurisprudence internationale :

« Une fois convaincue que l’une des branches de l’alternative est établie, la Chambre de première instance n’est pas tenue de vérifier que l’autre l’est également »[25].

        L’attaque du 28 septembre ne remplit-elle pas au moins l’une des branches de l’alternative ? Dans tous les cas, il est difficile de séparer le critère généralisé de celui systématique. Comme le fait remarquer d’ailleurs, le TPIY « en pratique, ces deux critères seront souvent difficiles à séparer l’un de l’autre : une attaque d’ampleur qui vise un grand nombre de victimes repose généralement sur une forme quelconque de planification ou d’organisation »[26]. Enfin, le principe que le crime contre l’humanité doit être commis « dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile », doit être entendu largement. Ce principe n’exclut cependant pas, qu’un acte inhumain commis contre une seule personne pouvait « constituer un crime contre l’humanité s’il s’inscrivait dans un système ou s’exécutait selon un plan, ou s’il présentait un caractère de répétitivité qui ne laissait aucun doute sur les intentions de son auteur »[27].

  1. Lancée contre une population civile

      L’attaque doit être dirigée contre « une population civile ». Le terme « population » exclut seulement les actes isolés ou fortuits. En effet, le juge doit « démontrer qu’un nombre suffisant d’individus ont été pris pour cible au cours de l’attaque, ou qu’ils l’ont été d’une manière telle que les juges soient convaincus que l’attaque était effectivement dirigée contre une population civile, plutôt que contre un nombre limité d’individus choisis au hasard »[28]. Cette idée rejoint celle selon laquelle l’attaque doit présenter un caractère « généralisée ou systématique »[29]. L’un ou l’autre de ces caractères de l’attaque établissent un dessein, le plan criminel, l’attaque : « en particulier, le caractère d’actes généralisés ou systématiques démontre l’existence d’une politique (…) qu’elle soit énoncée ou non formellement »[30], et prouve que les actes « ont été commis sur ordre »[31].  Le crime contre l’humanité constitue un crime de masse qui prend en compte des victimes collectives. Il implique « la répétition importante ou systématique d’actes criminels dirigés contre les victimes. Criminalité massive, fréquente, à grande échelle, mise en œuvre collectivement et dirigée contre une pluralité de victimes »[32]. C’est le nombre de victimes en ex-Yougoslavie, la « massification dans les effets des crimes », qui a permis d’identifier le plan concerté[33] ou la grande échelle de la politique de persécution nazie qui a convaincu les juges à Nuremberg[34]. De ce qui suit, l’attaque du 28 septembre n’a-t-elle pas été lancée contre « une population civile » ?

       Ensuite, faudrait que l’auteur connaisse l’attaque (…).

  1. En connaissance de cette attaque

       Selon la jurisprudence « pour être coupable de crimes contre l’humanité, l’auteur doit avoir connaissance de l’existence d’une attaque contre la population civile et du fait que son acte s’inscrit dans le cadre de cette attaque »[35]. Une attaque ne peut être qualifiée de crime contre l’humanité lorsque l’auteur ignorait que son comportement s’inscrivait dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique. En effet, « l’élément de « connaissance » « ne doit pas être interprété comme exigeant qu’il soit prouvé que l’auteur avait connaissance de toutes les caractéristiques de l’attaque ou des détails précis du plan ou de la politique de l’Etat ou de l’organisation » »[36]. C’est l’idée d’« une présomption large de la connaissance de l’attaque »[37]. La jurisprudence impose alors une quasi- « « obligation de savoir », une présomption de la connaissance de l’attaque. Les individus sont ainsi « responsabilisés » devant l’attaque criminelle »[38]. Ainsi, « la connaissance virtuelle, c’est-à-dire imposée par le contexte, ou connaissance parcellaire suffit à établir le crime contre l’humanité »[39].  Ce critère a été posé par la jurisprudence internationale : « si l’auteur a la connaissance, soit effective soit virtuelle, que ces actes étaient commis d’une manière généralisée ou systématique, cela suffit pour le tenir responsable de crimes contre l’humanité »[40]. L’attaque du 28 septembre n’a-t-elle pas été commise « en connaissance de l’attaque » ?

        En résumé, le juge pénal guinéen dispose d’une marge de manœuvre importante dans la répression des crimes commis. Il doit saisir de cette situation particulière et inédite pour rendre justice de manière indépendante, en confrontant l’attaque commise à la qualification légale disponible des crimes. Il n’est lié qu’à cette qualification. Autrement dit, n’étant soumis qu’à l’autorité de la loi pénale, l’attaque perpétrée doit être qualifiée au regard du principe de la légale criminelle. A ce niveau, le nouveau Code pénal guinéen, est une source incontournable, qui, en reprenant la définition (qualification) légale du crime contre l’humanité du Statut de la CPI, ne laisse aucune ambiguïté : l’incrimination d’un acte susceptible d’être qualifié de crime contre l’humanité est clairement consacrée (art.194 et s.).

[1] Lettre datée du 28 octobre 2009, adressée au Président du Conseil de sécurité par le Secrétaire général, S/2009/556.

[2] Rapport de la Commission d’enquête internationale chargée d’établir les faits et les circonstances des événements du 28 septembre 2009 en Guinée, CSNU, S/2009/693, 18 décembre 2009, p. 3. Le rapport fait état de plusieurs victimes, v. dans ce sens, la p. 2 dudit rapport.

[3] Le Bureau du Procureur, CPI, Rapport sur les activités du Bureau du Procureur en matière d’examens préliminaires, 13 décembre 2011, § 113. Dans un autre rapport rendu en 2018, le Procureur de la CPI confirmait qu’« il existait une base raisonnable permettant de croire que des crimes contre l’humanité ont été commis au stade national de Conakry le 28 septembre 2009 et les jours suivants, à savoir : le meurtre visé à l’article 7-1-a ; l’emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté, visé à l’article 7-1-e ; la torture visée à l’article 7-1-f ; le viol et autres formes de violence sexuelles, visés à l’article 7-1-g ; la persécution visée à l’article 7-1-h ; et la disparition forcée de personnes visée à l’article 7-1-i du Statut de Rome », v. dans ce sens, Le Bureau du Procureur, CPI, Rapport sur les activités menées en 2018 en matière d’examen préliminaire, 5 décembre 2018, § 171.

[4] Certes, elle confirmait la perpétration des crimes tels que des meurtres, des viols et des disparitions forcées, mais en retenant « un seuil moins grave », donc de crime de droit commun.

[5] Tribunal de première instance de Dixinn, cabinet du pool des juges d’instruction, ordonnance n° 07/17, 29 décembre 2017.

[6] Cour d’appel de Conakry, ch. de contrôle de l’instruction, arrêt n° 23 du 18 mai 2018.

[7] Cour suprême, ch. pénale, arrêt n° 06 du 25 juin 2019.

[8] E. G.-Gonggryp, La qualification pénale des faits, Laboratoire de droit privé & de sciences criminelles, PUF, 2013. V. aussi, X. Salvat, D. B.-Gibod, Procédure pénale, RSC, 2014, Dalloz, p. 375.

[9] X. Salvat, D. B.-Gibod, Procédure pénale, ibid., p. 375.

[10] Crim., 16 oct. 2013, n° 12-87.096, AJ pénal 2014.

[11] Crim., 15 févr. 2005, n° 04-84.519 B 56.

[12] X. Salvat, D. B.-Gibod, Procédure pénale, ibid., p. 376.

[13] Crim., 20 janv. 2009, n° 08-83.710, D. 2009. 997. V. aussi, X. Salvat, D. B.-Gibod, Procédure pénale, ibid., p. 376.

[14] Crim., 23 avr. 1992, n° 90-85.662 B. 178.

[15] V. dans ce sens, l’art. 194 et s. du nouveau Code pénal guinéen de 2016.

[16] CEDH, Pélissier et Sassi c. France D. 2000, 25 mars 1999, p. 356.

[17] B. Kandjoura, « Crimes du 28 septembre et principe de légalité en droit guinéen », in mosaïqueguinée.com, espacetvguinee.com, 2022.

[18] V. les deux rapports des commissions d’enquêtes nationale et internationale, op.cit.

[19] V. l’ordonnance d’instruction, op.cit.

[20] Y. Jurovics, « Le crime contre l’humanité : définition et contexte », Les cahiers de la justice, Dalloz, 2011, p. 58.

[21] Idem. V. aussi, TPIY, Kunarac et consorts « Focca », 12 juin 2002, § 86.

[22] Y. Jurovics, « Le crime contre l’humanité : définition et contexte », ibid., p. 58.

[23] « À défaut d’aveux de la part d’un accusé, son intention peut se déduire d’un certain nombre de faits », v. Y. Jurovics, « Le crime contre l’humanité : définition et contexte », ibid., p. 60, note 50. V. aussi, Akayesu, § 523 ; les affaires Kayishema, § 93 ; Rutaganda, jugement, 6 décembre 1999, § 63 et Musema, jugement, 27 janvier 2000, § 166.

[24] TPIY, Tadic, jugement, § 653 ; Jelisic, jugement, § 53… et Blaskic, jugement, § 204.

[25] TPIY, Tadic, 7 mais 1997, § 646. V. aussi, Kunarac, § 93.

[26] TPIY, Tadic, 3 mars 2000, § 207.

[27] Rapport de la CDI,1989, p.147, § 147. V. aussi TPIY, 7 mai 1997, Tadic, §§ 644-649. Dans le même sens, v. B. Kandjoura, « Crimes du 28 septembre et principe de légalité en droit guinéen », op.cit.

[28] O. De Frouville et A.-L. Chaumette, Droit international pénal, sources, incriminations, responsabilité, Pedone, Paris, 2012, p. 130.

[29] Idem.

[30] Y. Jurovics, « Le crime contre l’humanité : définition et contexte », ibid., p. 60. V. aussi, Tadic, jugement, § 653.

[31] TPIY, Blaskic, jugement, § 467.

[32] TPIY, Akayesu, § 580 et Kayishema, § 123.

[33] TPIY, affaire Karadzic et Mladic,11 juillet 1996, § 41.

[34] TMI, « Carried out on a vast scale », p. 84. V. aussi, Y. Jurovics, « Le crime contre l’humanité : définition et contexte », ibid., p. 61.

[35] TPIY Kayishema et Ruzindana, 21 mai 1999, § 33. V. aussi, O. De Frouville et A.-L. Chaumette, Droit international pénal, op.cit., p. 140.

[36] O. De Frouville et A.-L. Chaumette, Droit international pénal, ibid., p. 140.

[37] Y. Jurovics, « Le crime contre l’humanité : définition et contexte », op.cit., p. 63.

[38] Idem.

[39] Ibid., p. 64.

[40] Ibidem. V. aussi, Tadic, jugement, § 659.

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.