Ibrahima Basamba Soumah analyse pour Guinée Eco les problèmes de l’industrialisation de la Guinée et évoque des pistes de solutions
(Guinée Eco)-Dans un entretien par voie électronique, M. Ibrahima Basamba Soumah, auteur d’un Mémo concernant les effets macroéconomiques de l’industrialisation de la Guinée, a bien voulu répondre aux questions de votre journal économique en ligne sur cette problématique. Il analyse pour nous, entre autres, les réussites et les échecs de la Guinée en matière d’industrialisation, explore des pistes de solutions sur lesquelles l’Etat guinéen peut s’appuyer pour accélérer le processus d’industrialisation du pays, notamment en matière de financement de projets industriels. Lisez !
Guinee-eco.info : M. Ibrahima Basamba Soumah, vous êtes auteur d’un mémo sur les effets macroéconomiques de l’industrialisation de la Guinée. Pourquoi avez-vous tenu à écrire un tel document et pour quel public ?
Ibrahima Basamba Soumah : Depuis ma tendre enfance, j’ai toujours été attiré par les problématiques de développement de l’Afrique. Je me souviens encore des discussions enflammées entre mon père et ses amis de l’époque (qui faisaient partie du cercle des intellectuels et des cadres guinéens de l’époque). Leur préoccupation était de savoir s’il fallait appartenir au bloc de l’Est ou au bloc de l’Ouest, mais pas un mot sur les voies et les moyens concernant notre retard technologique et scientifique sur l’occident.
De nos jours, il en est de même : l’aspect scientifique n’est présent dans aucun débat. Il est absent des programmes des partis politiques et ne fait pas partie des préoccupations des intellectuels de ce pays. Le pire étant qu’après avoir subi les humiliations de la domination, de l’esclavage et de la colonisation, on n’a toujours pas pris conscience que la richesse d’un pays ne se mesure pas à la hauteur de ses richesses naturelles, mais bien par rapport à la qualité de ses ressources humaines.
Ce sont donc principalement toutes ces raisons qui m’ont poussé à rédiger ce document, dans l’espoir de susciter un quelconque intérêt, pour percevoir le développement de la Guinée à travers le prisme d’un modèle Industriel-Exportateur, qui nécessite un changement radical de mentalité et d’approche des modèles économiques à mettre en place. Ce Mémo s’adresse à toutes les strates de la population guinéenne, et plus généralement à tous les africains noirs qui se reconnaissent dans cette analyse et dans les solutions proposées pour sortir de la pauvreté et de l’ignorance.
Guinee-eco.info : En quoi l’industrialisation est-elle une solution au sous-développement d’un pays comme la Guinée ?
Ibrahima Basamba Soumah : L’industrialisation d’un pays sous-développé comme la Guinée doit répondre à de multiples défis tels que l’employabilité des centaines de milliers de jeunes – peu ou pas bien formés pour la plupart – qui arrivent sur le marché du travail chaque année. Par ailleurs, ce sont bien les activités industrielles et leurs corollaires qui permettent de dégager des parts de valeur ajoutée significatives dans la création de richesse d’un pays. Il est à noter que, contrairement à ce que l’on voit sur le continent au sud du Sahara, la mise en place d’un tissu industriel ne se limite pas à la création ici et là de zones franches dédiées majoritairement aux investisseurs étrangers, et à attendre tranquillement que ça se passe.
L’industrialisation doit être le reflet des notions suivantes : ✔ La mise en œuvre de créations d’emploi massives pour répondre à la demande d’emploi d’une démographie galopante dans un pays tel que la Guinée-Conakry ✔ La création de richesse qui permettra un rythme de croissance à 2 chiffres ✔ La redistribution de richesse qui permettra d’amorcer un financement endogène des programmes sociaux et éducatifs ✔ Le renforcement des recettes fiscales et des réserves de change, qui permettent à leur tour de lever des fonds sur les marchés financiers à des taux préférentiels et de se défaire progressivement de la contrainte des institutions financières internationales de Brettons Woods (FMI et Banque Mondiale)
✔ La maîtrise et la diffusion du savoir fondamental ✔ L’Aménagement du territoire (routes, autoroutes, entrepôts, hangars, zones franches, etc.) Création d’emploi, création de richesse, développement du système éducatif et social, renforcement des structures fiscales, maîtrise de la technologie et aménagement du territoire sont autant de domaines qui caractérisent un pays qui se donne les moyens de sortir du sous-développement, à travers l’élaboration et la mise en place effective d’une politique industrielle.
Guinee-eco.info : Quels sont les réussites et les échecs de la Guinée en matière de politique d’industrialisation ?
Ibrahima Basamba Soumah : Au lendemain de son indépendance, les autorités guinéennes, sous l’ère du Président Ahmed Sékou Touré, ont tenté de mettre en place une politique industrielle basée sur les concepts de production marxistes et communistes. De ces entreprises d’État, aucune ne subsiste depuis le changement d’orientation de l’économie guinéenne, initié sous l’ère du général Conté en 1986. Pour autant, le périmètre du secteur industriel dans ce pays se limite à quelques investissements étrangers ciblés dans les secteurs des mines, de la banque, des télécoms, du bois et de l’agriculture. En ce qui concerne les entreprises domestiques guinéennes, on compte quelques réussites dans les secteurs du commerce, de la construction, du transport, de l’agro-alimentaire et des services. Autant dire que nous sommes très loin d’une configuration d’un modèle où l’orientation, le soutien et la mise en place d’un tissu industriel diversifié et moderne, permettrait l’émergence de Capitaines d’industrie guinéens, voire de Chaebols à l’image des grands groupes de la Corée du Sud (Samsung, Hyundai, LG, etc.).
Guinee-eco.info : Sur quels ressorts le gouvernement guinéen peut-t-il s’appuyer actuellement pour accélérer l’industrialisation du pays ?
Ibrahima Basamba Soumah : La priorité des priorités à mon humble avis est le renforcement de la structure des recettes fiscales de l’État. Aucun développement économique, ni social ne pourra se réaliser avec des caisses vides. À l’instar des pays développés ou industrialisés, il faut nécessairement s’appuyer sur les taxes sur la consommation telle que la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA), qui est neutre pour le commerçant ou l’entreprise qui l’applique (difficile à admettre pour certains, mais bien réel sur le plan de la comptabilité de l’entreprise).
Il faut donc progressivement mais sûrement sortir ou même prévoir de sortir de l’économie informelle, pour pouvoir prétendre obtenir des financements sur les marchés financiers internationaux. Ne dit-on : Aide-toi toi-même et le Ciel t’aidera. La première ressource d’un pays qu’il soit développé ou non, doit s’appuyer structurellement sur sa propre consommation et, à travers elle, sa capacité à tirer des ressources fiscales et pérennes. En France, la TVA représente plus de 40% du total des recettes budgétaires annelles, raison pour laquelle, entre autres, on fait confiance à ce pays et que les investisseurs prêtent de l’argent à taux préférentiels à cette nation.
Bien évidemment, dans le cas de la Guinée, la mise en place et le recouvrement de cette taxe prendra un certain temps et dépendra de la volonté politique des gouvernements en place. Par ailleurs, comme tous les pays de ce monde, l’État (pour financer ses programmes de développement de filières industrielles), devra non seulement faire appel aux institutions financières classiques, mais également savoir lever des fonds sur les marchés financiers internationaux et créer les modalités de compétitivité-pays pour attirer les capitaux et les IDE (Investissements Directs Étrangers).
Guinee-eco.info : La Guinée peut-elle s’inspirer d’un pays ou bien créer son propre modèle d’industrialisation ?
Ibrahima Basamba Soumah : Le choix de l’élaboration et de la réalisation d’un programme de développement industriel est un processus endogène qui dépend des caractéristiques propres à chaque pays (histoire, situation géographique, état des ressources humaines, influences religieuses, coutumes, etc.). En ce sens, le modèle guinéen ne pourra qu’être unique.
En revanche, que l’on s’inspire ou que l’on s’appuie sur le modèle sud-coréen ou malaisien, les mêmes contraintes suivantes s’appliqueront : ✔ Une bonne gouvernance à travers un État stratège et efficace ✔ Les rigueurs fonctionnelles de la mise en œuvre d’une politique effective et ambitieuse d’industrialisation ✔ La maîtrise des fondamentaux universels de la science et de la technologie.
Notre monde est ainsi fait. Chaque fait et geste de chaque être humain et chaque élément constitutif de notre planète est relié à une explication ou à une description mathématique. Il en est de même pour tous les objets qui nous entourent, de la simple aiguille au modèle le plus sophistiqué d’un avion de ligne long courrier. Tous ces objets sont issus de multiples transformations répondant à des lois physiques et physiologiques universelles.
À nous, les africains noirs, de prendre part à cette formidable aventure que constitue la quête de découvertes et de connaissances de ces lois universelles pour concocter nos propres modèles d’industrialisation, dont les retombées profiteront principalement à nos populations en souffrance depuis déjà trop longtemps. À défaut de nous faire aimer, nous saurons nous faire respecter à travers le monde entier, en tant que Peuple capable de participer à armes égales, aux échanges commerciaux de biens et de services à forte valeur ajoutée.
Guinee-eco.info Quelle place accorder aux institutions financières internationales comme la Banque africaine de développement dans le financement des projets industriels en Guinée ?
Ibrahima Basamba Soumah : Le financement des projets et des activités industrielles d’un pays dépend de plusieurs facteurs ainsi que de ses indicateurs macroéconomiques fondamentaux. Dans le cas des pays industriels, ce secteur d’activités est largement financé par les banques privées qui elles-mêmes se financent auprès des banques centrales suivant un taux d’intérêt directeur.
Il est à souligner que les institutions financières émanant de l’Union Européenne, par exemple, interviennent elles aussi dans le secteur industriel au sein des différents pays membres, mais plutôt en appui à des projets d’infrastructure structurant, à moyen et à long terme, suivant des taux d’intérêt discrétionnaires. Pour financer une activité industrielle soutenue, la Guinée ne fera pas exception et devra s’appuyer sur ces deux logiques non exclusives de sources de financement.
Le soutien direct aux entreprises de ce secteur, devra s’effectuer à travers le truchement de banques et d’établissements financiers spécialisés (qu’il serait temps de faire émerger) dans le financement participatif, tandis que les institutions financières continentales pourraient intervenir dans le financement des infrastructures tel que la construction et l’exploitation d’une autoroute à péage entre la Guinée et le Sénégal et / ou entre la Guinée et le Mali.
Comme vous l’aurez compris, une institution financière tel que la Banque africaine de développement disposant une surface financière limitée, ne pourrait couvrir que partiellement et dans un cadre prédéfini, les multiples besoins de financement que requièrent la mise en place d’une politique industrielle structurée et soutenue dans un pays en voie de décollage comme la Guinée.
Guinee-eco.info : Le fait que la Guinée ne soit pas dans une zone monétaire comme l’UEMOA est-t-il un atout ou une faiblesse pour pouvoir financer son industrialisation ?
Ibrahima Basamba Soumah : Les règles de gestion d’une monnaie sont sensiblement les mêmes, que l’on appartienne à une zone monétaire ou non. Cependant, au sein de l’UEMOA, ce sont les politiques de stabilité monétaire et du taux de change qui sont privilégiées, au détriment de politiques d’expansion monétaire destinées à accompagner un programme de développement économique et social. En d’autres termes, les pays de la zone monétaire UEMOA se privent mécaniquement d’un élément de compétitivité-prix au regard des modalités d’insertion dans les échanges commerciaux mondiaux, la parité de leurs monnaies restant fixe et indexée sur l’Euro.
Par ailleurs, les bailleurs de fonds non-institutionnels, en plus des critères de stabilité monétaire, analysent également les perspectives et les modalités d’application des programmes de développement quinquennaux, et plus particulièrement les capacités de remboursement d’un pays. Dans le cas de la Guinée, il s’agira de démontrer que le gouvernement est capable de renforcer structurellement ses recettes fiscales en atteignant un taux de prélèvement obligatoire autour de 25 à 30% contre à peine 10% actuellement, à l’horizon d’un premier plan quinquennal. Dans cet optique, le fait de ne pas appartenir à l’UEMOA ne constitue en rien une faiblesse pour la mobilisation de ressources financières et peut même se révéler être un atout.
En effet, le jour où la Guinée commencera à exporter massivement des biens manufacturés (de qualité standard international) vers ses voisins de l’UEMOA, ces échanges commerciaux se traduiront par un afflux significatif de devises convertibles dans les caisses du Trésor guinéen. En conclusion, je vous dirais que chaque peuple écrit son histoire à travers sa volonté ou non de s’approprier les techniques et les savoirs que le génie humain est capable de mettre en œuvre pour concevoir des processus de fabrication de biens et de services. Les asiatiques et les blancs (européens et américains) s’attellent continuellement à cette tâche séculaire.
De notre côté, nous, les noirs africains, nous sommes évertués (depuis plus de 400 ans) à vendre nos forces vives (à travers le commerce négrier) puis (depuis la proclamation de nos indépendances) nos matières premières disponibles dans nos sols et nos sous-sols, sans nous rendre compte que c’est précisément ce processus de dégradation des termes de l’échange, qui nous appauvrit au fil du temps. Dans tous les cas de figure, aucun étranger, venu de quel qu’endroit que ce soit, ne viendra mettre en œuvre et réaliser le développement de l’Afrique noire à la place des africains eux-mêmes. Que cela soit dit et entendu par les nouvelles générations pour lesquelles, je crains le pire si l’on continue dans cette voie sans issue.
Entretien réalisé par Bachir Sylla