Journalisme et prise de position : un débat complexe…(Par Issa Thioro Guèye*)

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Aujourd’hui, nous plongeons au cœur d’un débat ancestral qui anime le monde des médias : la prise de position politique ou idéologique du journaliste. Ce sujet passionnant, complexe et souvent controversé a suscité l’intérêt de nombreux auteurs, penseurs et professionnels de la presse. Parmi eux, des voix s’élèvent en faveur de la neutralité absolue, tandis que d’autres défendent l’engagement journalistique, tout en insistant sur la responsabilité de cette prise de position.

Les partisans de la neutralité soutiennent que le devoir essentiel du journaliste est d’informer de manière objective, en laissant de côté ses propres convictions ou préférences politiques. Ils s’appuient sur le célèbre concept de « neutralité bienveillante » d’Albert Londres, où le journaliste incarne la voix des sans-voix sans se compromettre dans les querelles partisanes.

Dans ce débat passionnant, il est aussi difficile d’ignorer les critiques émanant de grands journalistes et auteurs, comme Ryszard Kapuściński, qui estiment que la neutralité absolue peut constituer une trahison envers la vérité. Kapuściński affirme que « le journaliste est témoin, et le témoin ne peut être un spectateur neutre ». Selon lui, l’engagement journalistique est le devoir du journaliste de dénoncer les injustices et les abus auxquels il est confronté.

De même, des penseurs tels que Walter Lippmann soulignent que la quête de la vérité exige un engagement actif. Lippmann affirme que la vérité n’est pas un donné, mais une lutte à laquelle nous devons prendre part. Cette lutte nécessite une prise de position consciente et explicitement formulée pour mobiliser la société vers le changement.

Le journalisme engagé trouve également des fondements dans l’Histoire, où des figures emblématiques, telles que Thomas Paine et son rôle majeur dans la lutte pour l’indépendance américaine, ou encore Emile Zola et sa célèbre lettre « J’accuse », ont influencé le cours des événements en exprimant leurs convictions. Ces exemples illustrent comment la prise de position éditoriale peut être un catalyseur pour le progrès social et la justice.

D’autre part, il est important de souligner les dangers de l’instrumentalisation des médias à des fins partisanes ou idéologiques. Les médias peuvent devenir des outils de manipulation et de propagande lorsque les journalistes abandonnent leur rôle de gardiens de la vérité au profit de la promotion de leurs propres opinions. C’est pourquoi il est essentiel pour les journalistes de rester fidèles à des principes éthiques, de transparence et de responsabilité.

Dans ce contexte, il est intéressants de prendre en compte les réflexions de Noam Chomsky et Edward Said, qui mettent en évidence les biais et les filtres médiatiques qui influencent la façon dont l’information est sélectionnée et rapportée. Ils soulignent l’importance d’une prise de position consciente permettant de déconstruire les discours dominants et de donner une voix aux marges de la société.

En tant que lecteurs des faits du temps, il est de notre devoir de rester critiques et d’acquérir une pluralité de sources d’information pour comprendre les enjeux complexes de notre monde. Les journalistes, quant à eux, doivent exercer leur pouvoir de manière éthique, en informant, en dénonçant les abus et en catalysant le changement social, tout en restant conscients des filtres médiatiques et en évitant la manipulation partisane.

L’essence même du journalisme réside dans la recherche de la vérité et la diffusion d’informations pertinentes qui alimentent le débat démocratique. Que nous soyons partisans de la neutralité ou de l’engagement journalistique, nous devons tous être motivés par l’objectif commun de bâtir une société plus juste, éclairée et informée.

Disons ici et maintenant : le débat sur la prise de position politique ou idéologique du journaliste est complexe et multifacette. Autant, la neutralité absolue peut sembler difficile à atteindre compte tenu des contraintes économiques et idéologiques qui pèsent sur le journalisme. Autant, l’engagement journalistique nécessite une rigueur intellectuelle, une transparence et une responsabilité envers la vérité et l’intérêt public.

Rufisque, 24 juin 2023

Source :Ouestaf

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